L’accord tripartite de cessez-le-feu à la guerre au Haut-Karabagh, signé le 9 novembre 2020 par l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie, est intervenu dans un contexte de panne du Groupe de Minsk. Créé en 1994 pour résoudre ce conflit, son processus de négociation semblait au point mort ces dernières années. Le déploiement des forces russes sur le terrain en « arbitre du Sud-Caucase », l’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis, les déclarations et votes de la France : tout porte à croire à une relance des activités du Groupe de Minsk - composée principalement de trois co-présidents (États-Unis, France, Russie) et des deux parties au conflit (Arménie, Azerbaïdjan). Mais selon quelle lecture de ses principes fondateurs ?

 

Par Anthony Renard

 

En 1992, le premier enjeu est de parvenir à un terrain d’entente entre les État belligérants. L’un des biais possibles lorsqu’aucun cessez-le-feu n’est déclaré consiste en l’intervention d’un tiers, médiateur du conflit, qui se veut neutre et impartial. C’est du moins le rôle que tente d’endosser la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) le 24 mars 1992 à Helsinki. Cette conférence est fondée sur l’idée d’un dialogue Est-Ouest[1]. Le Conseil de CSCE charge alors son président d’encourager les négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à travers une conférence qui aurait dû avoir lieu à Minsk (Biélorussie). L’objectif est de retrouver et maintenir un terrain d’entente pacifique dans la région du Haut-Karabakh. 

Ce sont là les prémices du Groupe de Minsk, fondé officiellement deux ans plus tard le 6 décembre 1994, dont les co-présidents sont les États-Unis, la Russie et la France. Il est composé d’ambassadeurs et de diplomates qui assurent le cadre des négociations.  

A partir de 1992, la question du Haut-Karabakh passe d’une guerre régionale entre deux États, à un conflit de dimension internationale, notamment en intégrant les deux plus grandes puissances militaires mondiales, la Russie et les États-Unis. Si ces dernières sont les deux grandes rivales de la Guerre froide, le climat des années 1990 se caractérise par la volonté d’agir en tant que médiateurs des conflits[2]. Entre les deux, la France se présente également comme une puissance diplomatique importante. 

En 1994 a été créé par l’OSCE le Groupe de Minsk, coprésidé par les EU, la France et la Russie. Pensez-vous que c’était une bonne idée ?

« Bien sûr, c’est une bonne idée. C’est un encadrement international pour ce conflit. La démarche est évidemment positive pour tenter de rapprocher, en tout cas de faire une médiation, entre les parties, en vue de trouver une solution acceptable pour tout le monde. Comment ne pas apprécier la démarche ? »[3]

Le concept de médiation du Groupe de Minsk

« À la suite de la décision du Sommet de Budapest, le 23 mars 1995, le Président en exercice a chargé les coprésidents du Groupe de Minsk de fournir un cadre approprié pour la résolution des conflits afin d’assurer le processus de négociation; obtenir la conclusion par les parties d'un accord sur la cessation du conflit armé afin de permettre la convocation de la Conférence de Minsk; et à promouvoir le processus de paix en déployant les forces multinationales de maintien de la paix de l'OSCE. Le processus de Minsk peut être considéré comme conclu avec succès si ces objectifs sont pleinement atteints » déclare le mandat du processus de Minsk signé par tous les États composant le Groupe de Minsk.[4]

Le Processus de Minsk insiste donc sur ce principe selon lequel « les coprésidents réaliseront l’ensemble de la coordination dans toutes les activités de médiation et de négociation, en les harmonisant en un effort unique et coordonné dans le cadre de l'OSCE ».[5] La dimension de médiation est inscrite dans ce processus qui définit le cadre des négociations. La médiation internationale ne va pas de soi. Il faut pour cela que les parties engagent ensemble la procédure de médiation par un ou des États tiers. La période post-guerre froide est favorable à cette recherche de paix durable entre les États, ce qui permet au Groupe de Minsk de voir le jour. 

La médiation internationale est définie au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies, où il est indiqué à l’article 33  du Chapitre VI que les parties à un différend doivent rechercher une solution pacifique notamment « par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix. »[6]

Le Groupe de Minsk reprend ce concept de médiation internationale à travers les principes définis lors du sommet 1996 à Lisbonne. Dans ce cadre, la présidence de l'OSCE a défini trois principes du règlement du conflit du Haut-Karabakh : 

  • « Intégrité territoriale de la République d'Arménie et de la République azerbaïdjanaise ».
  • « Définition dans un accord de paix du statut du Haut-Karabakh sur la base du principe de l'autodétermination et qui devra aboutir au plus haut degré d'autonomie au sein de l'Azerbaïdjan ».
  • « Sécurité garantie pour le Haut-Karabakh et pour toute sa population, y compris par la définition des garanties mutuelles assurant le respect par les parties de toutes les dispositions de l'accord de paix ».[7]

Le Groupe de Minsk cherche donc à adopter une position qui respecte les parties et leurs territoires respectifs, tout en introduisant une notion de garantie de sécurité et de respect mutuel des États belligérants. Les principes énoncés à Lisbonne seront complétés par les Principes de Madrid qui sont les suivants : le non-recours à la force, le respect de l’intégrité territoriale des États et le droit à l’autodétermination des peuples.[8]

Pour les co-présidents, la mission réside dans la résolution pacifique du conflit, sans atteindre à l’intégrité des États parties du conflit. Il s’agit d’un arbitrage interétatique où le respect mutuel est censé remplacer la force. 

Le fonctionnement interne du Groupe de Minsk

Le Groupe de Minsk est une structure exclusivement étatique. Aucune ONG n’en fait partie. Il se compose de trois co-présidents (États-Unis, France, Russie), de deux parties au conflit (Arménie, Azerbaïdjan), et de huit autres membres (Allemagne, Biélorussie, Suède, Italie, Pays-Bas, Portugal, Turquie, Finlande). Ces huit membres, hormis la Turquie, ont un rôle relativement faible dans le Processus de Minsk. Seule la Turquie exerce une forte influence géopolitique au sein du conflit. 

La gouvernance du Groupe de Minsk pourrait être représentée comme un triangle à quatre côtés : les trois co-présidents auquel s’ajoute le représentant personnel de la présidence tournante de l’OSCE, un diplomate polonais, Andrzej Kasprzyk. Le profil des coprésidents est généralement celui d’un expert de l’Europe de l’est ou du monde soviétique, souvent ayant déjà effectué une carrière au sein du Ministère des Affaires étrangères de l’État respectif.[9]Selon le témoignage de Pierre Andrieu, co-président de mai 2014  octobre 2016, à l’Assemblée nationale le 1erdécembre 2016,  « il n’y a pas de divergences entre nous. Nous travaillons dans une atmosphère extrêmement ouverte et nous discutons de bonne foi – y compris avec le co-président russe. Bien sûr, cela dépend, pour beaucoup, des initiatives des uns et des autres. »[10]

Il indique que les déplacements dans le Sud-Caucase se font toujours en présence des quatre ambassadeurs : « En général, nous sommes conduits à quelques kilomètres de là, sur une route. Nous mettons des gilets pare-balles et des casques. Sous un grand drapeau de l’OSCE, nous traversons à pied jusqu’à la ligne de contact elle-même, accompagnés, si nous sommes du côté arménien, par l’armée arménienne, qui nous « remet » à l’armée azerbaïdjanaise. C’est très impressionnant, car la ligne de contact nous ramène, visuellement, au conflit de 14-18, avec des tranchées, des barbelés, des soldats qui se font face à dix ou quinze mètres. »[11]

Selon Pierre Andrieu, ce format des négociations, bien qu’il ait produit peu de résultats positifs, demeure le meilleur format possible. Pour lui, le problème ne réside pas dans la forme que prennent les négociations, car les co-présidents assument leur rôle de médiateurs, mais bien dans le manque de volonté des parties de faire des concessions pour mettre un terme au conflit. 

La question du choix des États co-présidents du Groupe de Minsk reste judicieuse selon Pierre Andrieu : « Les trois pays qui co-président le Groupe de Minsk sont […] la Russie, sans laquelle la question ne pourra pas se régler ; les États-Unis, qui sont ce qu’ils sont ; et la France, qui a sa spécificité au sein de l’Union européenne. »[12]

Si parfois la question de l’élargissement de la co-présidence du Groupe de Minsk revient sur la table, surtout concernant l’Allemagne ou la Turquie, cela n’est pas sans poser problème aux États parties, notamment l’Arménie fortement opposée à l’entrée de la Turquie dans le cercle des coprésidents. A cet effet, l’Arménie invoque le fait que la Turquie n’est pas assez neutre dans ses relations étatiques pour prétendre entrer dans la coprésidence.

 « Le Groupe de Minsk est là, je le rappelle, pour mener une médiation, ce qui sous-entend une neutralité, ce qui marche pour le cas de Paris mais pas pour le cas d’Ankara. Dans toutes les déclarations, tous les actes d’Erdoğan dans ce conflit, vous verrez qu’il n’y a aucune neutralité. Il y a une recherche de justice en fonction de ce qu’eux appellent justice, et non pas une justice neutre. La Turquie est partiale et ne le cache pas. D’où la réticence d’autres membres du Groupe de Minsk de donner un rôle plus important, c’est-à-dire le statut de co-président. Mais avant d’en arriver là, il se pose un véritable problème d’appréciation : Comment peut-on accepter qu’un État, dans un cadre de médiation, ait une position partisane ? »[13] rappelle Hovhannès Guevorkian, Représentant de la République d’Arstakh en France.

Pierre Andrieu indique que « sur le fond des négociations, les trois coprésidents ont pris, chacun à leur tour, des initiatives qui ont toujours été bien accueillies par les deux autres. Après la France au cours des années 1990, c’est aujourd’hui le tour de la Russie. »[14] Il s’agit donc d’un processus d’initiatives prises par les États en fonction de la situation actuelle. Par conséquent, d’après le témoignage de l’ambassadeur, on peut comprendre que l’évolution de la médiation du Groupe de Minsk dépend de l’initiative de chaque Ministère des Affaires étrangères des coprésidents. 

Une nouvelle lecture des principes du Groupe de Minsk

 

Aujourd’hui, les Principes du Groupe de Minsk ne sont plus lus de la même manière. En effet, depuis la reprise de la guerre du Haut-Karabakh en septembre 2020, deux éléments viennent contrebalancer le respect même du principe de médiation à cinq qui, à l’origine, est au cœur de la politique de cette organisation internationale.

Le premier élément concerne l’intervention du président Vladimir Poutine en fin d’année 2021. Le Groupe de Minsk s’est avéré bien inefficace non seulement dans ses sanctions mais aussi dans sa capacité à agir rapidement lorsque les effusions de sang reprennent. Or, la qualité́ d’une organisation internationale pourrait être jugée à sa réactivité dans les moments de crise. De ce point de vue, le Groupe de Minsk est loin d’être performant. 

De ce fait, la Russie, à plusieurs reprises, à décider d’entreprendre les négociations en tant que force médiatrice, indépendamment de l’organisation internationale. Le motif : l’inefficacité d’un groupe tricéphale. Moscou ne souhaite pas toujours perdre du temps à consulter les coprésidents de Paris et Washington, sous peine de voir les opinions diverger et donc d’entamer un processus de pré-négociations au sein du Groupe, alors que dans le même temps la guerre reprend dans le Haut-Karabakh. 

C’est pourquoi la Russie en novembre 2020 décide d’agir seule, Vladimir Poutine endossant la responsabilité́ de médiateur entre les parties. Et dans les faits, la Russie a réussi à obtenir un cessez-le-feu, peut-être fragile, peut-être court, mais on ne peut pas nier que Moscou ait réussi là où le Groupe de Minsk a pour l’instant échoué. 

Par conséquent, avec cette intervention du Président Poutine, le Groupe de Minsk perd encore davantage sa crédibilité et sa légitimé à arbitrer le conflit. Sur ce point, le respect des principes de médiation du Groupe de Minsk tend à évoluer. 

Le deuxième élément concerne l’évolution de la position française quant la reconnaissance de la République d’Arstakh. En effet, le 25 novembre 2020, suite aux affrontements qui avaient repris entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, le Sénat français a décidé de voter la proposition de résolution « portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh », adoptée à 305 voix contre 1.[15]

Dans les semaines qui suivent, ce n’est plus le Sénat mais bien l’Assemblée nationale qui, le jeudi 3 décembre 2020, vote la proposition de résolution du groupe Les Républicains, « visant à la protection du peuple arménien et des communautés chrétiennes d'Europe et d'Orient », et qui vise notamment à la reconnaissance de la République d’Artsakh. La proposition est adoptée à 188 pour, 3 contre et 16 abstentions. Ce jour-là, « la France est devenue le seul pays dont le Parlement souhaite reconnaître la République autoproclamée ».[16]

Ainsi, la décision du Parlement français entre en contradiction avec le principe de l’intégrité territoriale, principe reconnu par les États-Unis, la Russie, ainsi que la France. Par conséquent, en inscrivant dans sa loi nationale la reconnaissance de la République du Haut-Karabakh, la France établit de facto un écart avec les autres coprésidents du Groupe Minsk.

 

Anthony Renard

 

[1] « Document d’Helsinki», OSCE, Sommet d’Helsinki, 1992, p. 1-11.

[2] Charles Tenenbaum, Faire la paix, Chap. 4 « La médiation des organisations intergouvernementales », Col. Références, Éd. Presses de Sciences Po, 2009, page 101. 

[3] Entretien avec M. Hovhannès Guevorkian, Représentant de la République d’Arstakh en France, le 9 mars 2021.

[4] Organization for Security and Co-operation in Europe, Mandate for the Co-Chairs of the Minsk Process, 23 March 1995, page 2-3. 

[5] Ibid., page 3. 

[6] Organisation des Nations unies (ONU), Charte des Nations unies, Chapitre VI, article 33, 26 juin 1945. 

[7] « Document de Lisbonne », OSCE, Sommet de Lisbonne, 1996, annexe 1, page 14. 

[8] « Haut Karabakh : il faut une solution et non un statu quo », Le Monde, 11 avril 2016. 

[9] Julien Zarifian, docteur en géographie mention géopolitique, Le Sud Caucase, un terrain nouveau de la politique extérieure des États-Unis. Analyse géopolitique, thèse de l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8), 27 nov. 2010, p. 358.

[10] Pierre Andrieu, « Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase », Assemblée nationale française, 1er décembre 2016.

[11] Ibid. 

[12] Ibid. 

[13] Entretien avec M. Hovhannès Guevorkian, Représentant de la République d’Arstakh en France, le 9 mars 2021.

[14] Pierre Andrieu, « Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase », Assemblée nationale française, 1er décembre 2016.

[15] « Le Sénat vote en faveur de la reconnaissance du Haut-Karabagh », Public Sénathttps://urlz.fr/fJDN (consulté le 25 mai 2021).

[16] Ariel Guez, « L’Assemblée nationale vote en faveur de la reconnaissance du Haut-Karabagh », LCP, publié le jeudi 3 décembre 2020, (consulté le 25 mai 2021).