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Par Otto Luchterhandt, professeur de droit à l’université de Hambourg

 

7 fondements juridiques de droit international justifient l’octroi du statut de pays indépendant à la république d’Artsakh / Haut-Karabagh. Cette analyse, parue en allemand le 30 septembre 2020, reste d’actualité au regard des territoires autodéterminés de la République d’Artsakh dont le statut international est toujours en suspens après l’accord de cesser le feu du 10 novembre 2020. Or, en l’absence de statut clair, le conflit reste sans résolution sur le fond. Radar Media vous propose la traduction en français de cette analyse juridique de référence.

 

  • (1) L’indépendance de la République d’Artsakh / Haut-Karabakh a son fondement juridique officiel en droit international dans le principe du droit à l’autodétermination des peuples. Son respect et sa réalisation sont expressément reconnus comme l’un des « Objectifs des Nations unies » (art. 1 n° 2 ; art. 55 de la Charte des Nations unies). Le contenu juridique de ce principe est déterminé par l’article 1, paragraphe 1, formulé de manière identique dans les deux Pactes internationaux des Nations Unies du 16 décembre 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, entrés en vigueur en 1976. Il s’agit du « droit de tous les peuples de décider librement et sans ingérence extérieure de leur statut politique et d’orienter leur développement économique, social et culturel ». Le pouvoir de décider librement de son statut politique a été concrétisé par les Nations unies en 1970 dans le (cinquième) « Principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples de la Déclaration sur les relations amicales1, avec la reconnaissance des « possibilités » suivantes : 1. Création d’un État souverain et indépendant ; 2. Libre association avec un État indépendant ; 3. Libre intégration dans un État indépendant ; 4. Adhésion à un autre statut indépendant librement choisi par le peuple. Le droit à l’autodétermination des peuples a la qualité d’un « droit impératif » (ius cogens). Il s’agit donc de l’une des normes les plus importantes du droit international. Les traités entre États qui sont contraires à ce principe sont nuls et non avenus.

 

  • (2) Le principe du droit à l’autodétermination des peuples est, dès lors qu’il s’agit de la séparation (sécession) d’un peuple de son État parent, pris dans une tension et un conflit juridique avec le principe du droit international de l’égalité souveraine des États (article 2 n° 1 de la Charte des Nations unies) et avec le principe associé de leur intégrité territoriale (cf. article 2 n° 4 de la Charte des Nations unies). Les deux principes - le principe du droit à l’autodétermination et le principe de l’égalité souveraine des États peuvent avoir un poids différent, plus ou moins élevé selon les circonstances politiques spécifiques. Cela a des implications juridiques quant au fait de savoir lequel des deux principes prévaut sur l’autre.
  • (3) Dans le cas de la République arménienne d’Artsakh / Haut-Karabakh, le droit à l’autodétermination prévaut sur la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République d’Azerbaïdjan, parce que les Arméniens qui ont fondé la République d’Artsakh / Haut-Karabakh pendant l’ère soviétique remplissent d’une part les critères d’un « peuple » au sens du droit à l’autodétermination et d’autre part, ils peuvent atteindre la forme et le niveau le plus élevé du droit à l’autodétermination, c’est-à-dire la sécession de la République d’Azerbaïdjan et la création d’un État (national) distinct.
  • (4) La reconnaissance du fait que les Arméniens du Haut-Karabakh présentent les caractéristiques et la qualité d’un « peuple » au sens du droit à l’autodétermination est déjà implicite dans le fait qu’en 1924, ils ont reçu leur propre région autonome au sein de la République soviétique d’Azerbaïdjan, car dans la « Région autonome du Haut-Karabakh », limitrophe de la République soviétique d’Arménie, les Arméniens formaient l’écrasante majorité avec environ 85 % des habitants. Les Arméniens du Haut-Karabakh n’ont pas perdu la qualité de peuple en termes de droit international jusqu’à la fin de l’URSS.
  • (5) Les Arméniens de l’ancienne « Oblast autonome du Haut-Karabakh » avaient le droit de former leur propre État parce qu’ils étaient autorisés à faire sécession de la République soviétique d’Azerbaïdjan en vertu du droit international et ont mené à bien cette sécession conformément au droit international.
  • (6) Conformément au principe de l’autodétermination en droit international, un peuple a le droit de faire sécession s’il est si gravement discriminé et opprimé par l’État d’origine que l’on ne peut plus s’attendre à ce que ses membres restent dans l’État d’origine étranger. La soi-disant « sécession rédemptrice » est aujourd’hui une institution juridique reconnue par la doctrine du droit international2. Elle est étroitement liée au concept de « responsabilité de protéger » des Nations unies, qui rompt avec la notion traditionnelle selon laquelle l’État et ses dirigeants ont le droit, en vertu de la souveraineté de l’État, de traiter leurs citoyens comme ils l’entendent.
  • (7) Les Arméniens ont fait l’expérience de la discrimination et de l’oppression dans la République soviétique d’Azerbaïdjan, en particulier dans la phase finale de l’URSS, lorsqu’ils ont tenté de réaliser le droit à l’autodétermination en Union soviétique conformément au droit étatique soviétique, de manière pacifique et par des moyens démocratiques (pétitions de masse ; décisions parlementaires ; référendum) (1986-1991). Les Arméniens du Haut-Karabakh en ont été empêchés et ont été contraints de faire valoir leur droit à l’autodétermination contre la nouvelle République indépendante d’Azerbaïdjan (1992-1994), désormais fondée uniquement sur le droit international. La République d’Artsakh y est parvenue grâce au soutien de la République d’Arménie et de la diaspora arménienne dans le monde entier. Dans l’accord tripartite de cessez-le-feu conclu avec la République d’Arménie et la République d’Artsakh à Bichkek le 11 mai 1994 et dans d’autres accords tripartites, la République d’Azerbaïdjan a traité le Haut-Karabakh, sous une forme pertinente au regard du droit international, comme une partie contractante et une partie indépendante au conflit.
  • (8) Le droit des Arméniens et de la République d’Artsakh / Haut-Karabakh à la sécession par sécession réparatrice prévaut sur la revendication de souveraineté formulée par l’Azerbaïdjan, car en 1992 / 1993, c’est-à-dire immédiatement après la chute de l’Union soviétique, la souveraineté de la République d’Azerbaïdjan était faible. Au sein de ce pays, les conditions étaient similaires à celles d’une guerre civile, et cette République n’était pas encore un membre souverain pleinement établi de la communauté internationale des États. Face à la revendication de la République d’Azerbaïdjan, le droit à l’autodétermination des Arméniens du Haut-Karabakh se fondait sur des éléments juridiques particulièrement solides et durables qui n’ont cessé de se renforcer depuis lors, tandis que la revendication de souveraineté de l’Azerbaïdjan avait et continue à avoir un bien moindre poids.
  • (9) Lorsque la République d’Azerbaïdjan est finalement devenue un État souverain à part entière et soumis au droit international en 1994 / 1995, la République d’Artsakh s’en était séparée depuis longtemps. La République d’Azerbaïdjan était et est toujours séparée de la République d’Azerbaïdjan par une frontière claire le long de la ligne de cessez-le-feu de 1994 (« Ligne de contact »), est définitivement séparée, dispose de ses propres organes d’État démocratiquement légitimés et fonctionnels, y compris de sa propre armée, forte et internationalement reconnue, et est complètement indépendante de la République d’Azerbaïdjan.
  • (10) Bien que la République d’Artsakh / Haut-Karabakh ne soit pas internationalement reconnue, elle remplit tous les critères d’un État de fait, et possède par conséquent une subjectivité juridique internationale partielle selon la doctrine de droit international reconnue. La conséquence la plus importante est que la République d’Artsakh est protégée contre les attaques de l’extérieur par l’interdiction générale de la force en vertu du droit international, conformément à l’article 2 n° 4 de la Charte des Nations unies et, en cas de violation de cette interdiction - en principe, elle n’est pas différente des républiques d’Azerbaïdjan et d’Arménie - elle peut invoquer le droit de légitime défense en vertu du droit international (article 51 de la Charte des Nations unies). Elle peut et doit, comme le dit expressément l’article 51, première phrase, être exercée non seulement « individuellement », c’est-à-dire par la République d’Artsakh seule, mais aussi « collectivement ». L’assistance militaire à la République d’Artsakh / Haut-Karabakh par la République d’Arménie ou également par la Fédération de Russie ne constituerait donc pas une violation du droit international.

 


1 Le titre complet du document est : Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies (« Déclaration sur les relations amicales »), adoptée par la résolution n° 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations unies, le 24 octobre 1970.

2 L’institution juridique de la « sécession rédemptrice » se fonde sur le paragraphe 7 de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l’homme, adoptée par la « Déclaration des relations amicales » concrétise de la manière suivante le « Principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples » : « Aucune disposition des paragraphes précédents ne doit être interprétée comme autorisant ou encourageant une action quelconque qui démembrerait ou porterait atteinte, totalement ou partiellement, à l’intégrité territoriale ou à l’unité politique d’États souverains et indépendants se conduisant conformément au principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples tel que décrit ci-dessus et possédant ainsi un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur ». Un État qui ne remplit pas cette condition juridique perd son droit de domination vis-à-vis du peuple concerné, jusque-là sous domination.